C’est le Printemps des Consciences, Pour accompagner ce double mouvement qui nous pousse à sortir de l’hiver en allant vers la lumière, et notre humanité au ralenti qui nous ramène vers l’essentiel, la Cité des Consciences offre chaque jour une nouvelle fleur pour le jardin des coeurs à contempler en ces temps d’intériorité. Le Printemps […]
De la peur de l’épidémie à l’épidémie de la peur – Vigyananand (Jacques Vigne)
En cette période où beaucoup de projets individuels et collectifs sont annulés à cause de l’épidémie de coronavirus, c’est le moment de se souvenir de la parole de Mâ Anandamayî : « Souvent, vous n’avez pas à aller chercher le renoncement, il vient à vous de lui-même ! » La sagesse est alors de faire comme si on l’avait voulu… Cela mène à une bonne méditation sur le fait qu’en ce monde, les choses sont changeantes comme les vagues de l’océan ; c’est pourquoi il faut savoir faire de l’impermanence son amie. Les gens considèrent d’habitude la permanence comme leur pire ennemi. C’est une tendance à inverser.
Intérioriser de façon bénéfique ce ralentissement imposé par l’épidémie.
L’épidémie de coronavirus est un sérieux ralentissement non seulement pour l’économie, mais pour cette accélération même qui s’était insinuée progressivement dans notre vie quotidienne. Qu’on le veuille ou non, on doit apprendre à voir les choses avec plus de lenteur. Cette lenteur, cette perspective où la mort est aussi plus présente peut nous donner une profondeur accrue, comme on voit plus profondément avec deux yeux qu’avec un seul, et qu’on voit plus loin spirituellement avec l’ouverture du troisième œil du yoga, qui est celui de Shiva. C’est finalement quand survient un ralentissement, et encore mieux un arrêt des automatismes qu’on se réveille. Pour comprendre cela, il suffit de se souvenir de ces moments où l’on somnole, bercé par le ronronnement d’un train de nuit et qu’on est tout d’un coup réveillé quand celui-ci s’arrête.
En face de cette obligation de ralentissement, de cette sorte de coup d’arrêt du sort, nous avons le choix entre être plus intériorisés et trouver en même temps de nouvelles solutions pour venir en aide aux autres qui sont dans la difficulté, soit à cause de l’infection directe par le virus, soit à cause des problèmes matériels entraînés par les restrictions aux déplacements. L’autre choix est de se laisser aller dans le sens de la distraction-destruction : malheureusement, même quand on est confiné chez soi, on a quand même accès à l’Internet et ces sites où l’on peut voir des millions de films, de livres ou de musiques pratiquement gratuitement. Il est donc tout à fait possible de ne pas s’intérioriser du tout même en passant la journée entière confinée entre quatre murs ! Il faut bien être conscient de cette tentation, et savoir faire le bon choix.
Ce ralentissement général de la société des individus, causé par les restrictions actuelles, est aussi une sorte de clinique de thérapie, et en ce sens-là, elle nous fait du bien. Cela me fait penser à une réflexion de Swami Vijayânanda. Ancien médecin français devenu disciple de Mâ Anandamayî, il a passé 60 ans en Inde dont 18 en solitude dans l’Himalaya. J’ai travaillé pendant 25 ans avec lui, et on lui demandait de temps à autre pourquoi il était resté tant de temps en solitude. Il répondait souvent : « Cela a été pour moi un moyen de ralentir le mental ». Voilà qui peut sembler trop simple et même un peu décevant. Cependant, dans la conception du Yoga, quand le mental se ralentit, la boue qu’il contient peut décanter, et on parvient à voir son fond directement. Il s’agit donc d’un travail à long terme. En ce sens, de bons centres de retraite servent de « cliniques de ralentissement » pour une société qui souffre d’« accélérite » aiguë ou chronique. Un autre conseil de Swami Vijayânanda pour intensifier son progrès spirituel était d’économiser son énergie. Le retour à soi qu’impose le confinement va directement dans ce sens, pourvu qu’on sache comprendre son message. Comme le disait Nietzsche, le véritable courage est celui qu’on a face à soi-même. Tout simplement rester chez soi représente une possibilité de premier pas pour développer ce type de courage, et a en quelque sorte une valeur initiatique, surtout quand on l’a très peu fait dans sa vie. Dans les cultures primordiales, l’initiation de l’adolescent ou de l’adolescente passe souvent par une période de quelques jours, seul en forêt. Au-delà de la capacité de survivre et de se nourrir dans ce milieu complètement naturel, il y a la séparation du cocon familial et social et l’apprentissage direct de la solitude. Pour beaucoup d’individus modernes ‘hypersocialisés’, devoir rester chez soi quelques jours ou semaines sera sans doute une grande première. C’est leur responsabilité d’en faire bon usage.
On oscille finalement entre deux extrêmes, se réfugier dans les distractions multiples pour tuer le temps, et de l’autre côté, rester paralysé par une fixation apeurée évidemment aussi entretenue par les médias. Dans le premier cas, on sera une sorte de drogué qui se gave de films pour ne pas voir le mal-être extérieur et intérieur. Il y a malheureusement beaucoup de gens dans ce cas. J’ai lu récemment une étude qui expliquait qu’en France, les gens passent en moyenne deux heures par jour sur un écran, principalement à regarder des films et fréquenter les réseaux sociaux, sachant que ceux-ci sont pollués par une violence verbale facile où les gens se défoulent impunément et de façon au fond irresponsable. Même l’actualité qui paraît d’un niveau et d’un intérêt quand même supérieur ne correspond en moyenne qu’à une durée de deux minutes sur deux heures. Quand on constate cela, on a le droit d’être triste et on en est réduit à émettre des vœux universels de bonheur du genre : « Puissent tous les êtres être bien, heureux et apaisés »…
Il y a une voie du juste milieu à trouver, d’un côté en profitant d’une solitude relative pour ralentir son mental comme le recommande le yoga, et d’un autre côté en se tenant suffisamment au courant de la réalité de la situation extérieure. Du temps qui se libère soudainement représente une porte qui s’entrebâille vers la lumière de l’expérience profonde. On doit la pousser pour la passer, et ne pas laisser n’importe quel courant d’air, c’est-à-dire n’importe quel caprice ou divertissement la faire se refermer en la claquant. Pour prendre un point de vue critique, on pourrait dire qu’il y a une formule qui paraît banale mais qui est en fait pernicieuse : « Oui, mais je regarde cela parce que c’est intéressant ! » Il y a des milliards de choses intéressantes, pourtant, notre vie est limitée dans le temps, c’est ce que nous rappelle aussi cette période d’épidémie. Il faut donc savoir ce qu’on cherche. Un vide relatif de son emploi du temps est déjà une manière de toucher cette vacuité, un terme par lequel les bouddhistes désignent la Réalité sous-jacente. Une fois, le Bouddha a pris une poignée de feuilles sur le sol dans une forêt et a demandé à ses disciples s’ils comprenaient ce qu’ils voulaient dire. Devant leur air intrigué, il leur a expliqué : « Ces quelques feuilles représentent l’enseignement que je vous donne, celui qui mène à la Libération. Il est bien moindre en quantité que toutes les connaissances possibles, qui elles, sont aussi nombreuses que toutes les feuilles de la forêt ! »
Les causes profondes de l’épidémie et la tentation de toute-puissance.
Quand on s’intéresse aux causes de cette épidémie, il y a deux possibilités principales, et les deux sont reliées clairement à une dérive de l’humanité affligée par des idées de toute-puissance. La version officielle est qu’il s’agit d’un virus qui vient des animaux sauvages tués et vendus sur les marchés de Chine. Pourquoi donc les êtres humains veulent-ils se nourrir d’animaux tués alors que les plantes suffisent ? Il y a quelques centaines de millions de végétariens sur cette planète qui en sont la preuve vivante et qui montrent qu’effectivement, les plantes sont suffisantes. N’est-ce pas un sentiment de toute-puissance qui pousse un certain nombre d’êtres humains à se dire qu’il est normal que les animaux sacrifient leur vie pour satisfaire, non pas leurs besoins, mais seulement leurs désirs ?
La seconde version, moins officielle, est la suivante : il y aurait eu une contamination d’un laborantin chinois dans ces instituts militaires qui développent les moyens de guerre bactériologique. Ce laborantin contaminé aurait lancé l’épidémie autour de lui. Evidemment le gouvernement chinois ne se serait pas vanté de cela. C’est une hypothèse qui semble tout à fait possible à un de mes amis, général quatre étoiles de l’Aviation française, loin de tout complotisme, et qui a justement travaillé trois ans en tant que haut-gradé dans la prévention de la guerre bactériologique. Je suis en contact régulier avec lui. Tout le monde sait qu’il y a des laboratoires de virologie qui travaillent à modifier et fabriquer de nouveaux virus, pour être pour le bien de la science, probablement aussi dans certains cas à des fins de guerre bactériologique. Le général compare cela un réacteur fissuré d’une centrale nucléaire qui se met à fuir et à polluer la nature et les êtres humains à grande échelle. Il y a certainement des démentis officiels de cela, mais par exemple le Dr Scwartz, directeur scientifique de l’Institut Pasteur, reconnaît que l’être humain peut créer de nouveaux virus, seulement en général ils se reproduisent moins facilement que leurs homologues naturels[i]. Dans ce cas aussi, il y aurait un bon exemple de l’immaturité de l’être humain qui joue avec le feu des idées de toute-puissance.
Idées de traitement de la peur en cette période d’épidémie.
Déjà, certaines attitudes et remèdes généraux sont bons pour prévenir ou guérir la peur. J’en ai parlé dans mon article abhaya, la non-peur, qu’on trouvera sur mon site. Il y a bien sûr l’idée générale que la pensée est créatrice, en ayant donc beaucoup de pensées de peur, on a plus de risques de prophétie auto-réalisatrice. Cependant, c’est un argument qui a aussi ses limites, car un tant soit peu d’anxiété peut pousser à prendre des mesures plus strictes pour contenir l’épidémie au niveau individuel et collectif, et c’est a priori un bien. Là encore, il ne faut pas perdre ni le sens du juste milieu, ni le bon sens.
Puisque nous sommes dans une perspective du yoga pour faire face à cette épidémie, nous pouvons réfléchir sur l’archétype de la danse Tandava, la danse de mort de Shiva. L’histoire est la suivante : à cause d’un conflit avec son père le roi Daksha qui avait refusé d’inviter son mari Shiva à un grand sacrifice qu’il organisait, Sati s’est suicidée en se jetant sur le bûcher allumé pour ce sacrifice. Shiva est accouru, a pris le cadavre de sa femme sur son épaule et s’est enfui en semant la mort et la destruction sur son passage, à cause de sa fureur et aussi de son deuil. Vishnou, voyant cela et étant lui-même responsable de la protection du monde, est venu discrètement par derrière et a coupé en morceaux le corps de la déesse pour en débarrasser Shiva. Il en est ressorti 52 parties qui, en tombant sur terre, ont fait chacune naître un temple à la déesse. On peut distinguer au moins deux niveaux d’interprétation de ce récit, métaphysique et psychologique : du point de vue métaphysique, cela signifie pour l’hindouisme qu’il y a une seule grande déesse, la Mahâdévî, et que les multiples déesses adorées dans ces 52 temples n’en sont que des facettes. Du point de vue psychologique, ce récit représente une critique de l’attachement passionnel qui mène à la destruction. Est-ce que cela peut s’appliquer à notre situation présente ? Oui en un certain sens : déjà à un niveau concret, ceux qui sont très attachés à leur style de vie et qui ne veulent absolument pas en changer ne prendront pas les mesures de protection adéquate, et risquent plus leur propre destruction et celle de ceux ou celles qu’ils contamineront. C’est un aspect des choses, même si ce n’est pas le seul. Au premier niveau et pour beaucoup de gens, sortir le soir, partir en vacances à l’autre bout du monde représente le meilleur de la vie, mais ils ne voient pas la mort qui est aussi par derrière en cette période, de même que Shiva ne comprenait pas que sa femme était morte et qu’il s’y attachait comme si elle allait revenir à la vie. Mâ Anandamayî faisait là-dessus un jeu de mot signifiant en hindi, vishaya, visha : les objets des sens, vishaya, sont des poisons, visha. Elle précisait même, des poisons lents qui nous minent notre énergie sans qu’on s’en aperçoive. Évidemment, cela ne va pas dans le sens de la société de consommation mais plutôt dans celui d’une sagesse profonde. Reconnaissons cependant que pour bien méditer sur ce sujet, on sera considérablement aidé par le fait d’avoir déjà éveillé un certain niveau de joie intérieure. En cette période de confinement, le « corps aimé-cadavre » de Sati qu’on doit lâcher, correspond à nos projets à court et moyen terme, et même pour beaucoup, à notre gagne-pain. Si on le lâche de bon cœur, ce sera une aide au progrès spirituel, si on le fait avec acrimonie, ce sera un obstacle. Une bonne solution sera aussi de faire comme certains italiens, qui lâchent leur liberté de se déplacer…en chantant sur leur balcon ! Dans la voie de la bhakti, de la dévotion hindoue, on dit que si on expire sans chanter de mantra, on expire pour rien.
Un traitement de la peur de l’épidémie est de savoir rire de la mort : pour cela, la culture mexicaine est experte, elle offre des tas de représentations ironiques autour de ce sujet, comme des squelettes habillés en mariés, ou avec le chapeau haut-de-forme et le cigare, ou encore en train de faire du vélo ! Prendre les mesures raisonnables pour se protéger du virus et pour protéger les autres n’empêchent pas de rire de notre situation présente. On sait d’ailleurs que le rire renforce l’immunité, il faut donc savoir l’utiliser à bon escient en ce moment.
Dans l’ensemble, l’être humain n’aime pas trop l’incertitude, et c’est pourtant la situation dans laquelle nous sommes. Personne, même les experts, n’arrivent bien par exemple à estimer la durée de la situation épidémique. Cela est une raison de plus de lâcher prise, et par exemple de méditer sur cet adage zen : « D’instant en instant, ouvrir la main, l’esprit ». Dans ce sens aussi, un grand maître de méditation de la forêt thaïlandaise, Ajahn Chah, conseillait une méditation à laquelle il attachait une grande importance, et qu’il définissait même comme cruciale : celle du « Pas sûr ! » À chaque fois qu’une sensation, qu’une émotion, qu’une pulsion remonte en nous, on y répond par le : « Pas sûr ! » Cela ne veut pas dire qu’il faille douter des valeurs fondamentales de l’être humain ou de la nécessité de faire un travail spirituel, mais il faut simplement remettre en question notre fonctionnement automatique, nos sensations-émotions qui nous portent dans un sens ou dans l’autre, sans que nous n’en ayons vraiment conscience. Il est donc bon d’être capable d’accepter que l’avenir même proche n’est pas sûr, et réussir à en sourire.
Dans ce sens également, il y a ce poème zen dont la première ligne dit : « Le matin, je me réveille et je souris ». Chaque journée recèle sa portion d’incertitude ; si on voit celle-ci d’avance en souriant, on part du bon pied pour son activité quotidienne. Et même plus, ce n’est pas simplement le matin au réveil qu’il faut apprendre à sourire, c’est devant tout ce qui nous réveille mentalement, c’est-à-dire toutes ces choses petites ou grandes qui ne se passent pas comme on voudrait. Et à l’évidence, une épidémie n’est pas ce que souhaitent les êtres humains. Donc, elle nous réveille, et si on prend ce réveil avec un sourire, elle peut devenir une cause d’Eveil. Il y a juste un r a laissé tomber entre pour passer d’un terme à l’autre, c’est comme le « rrrra » de l’irritation…
La tendance des groupes humains est de stimuler leur énergie et leur unité en se saisissant d’un bouc émissaire. Ce mécanisme est régulièrement négatif et crée des tas de problèmes, mais prendre le coronavirus comme bouc émissaire pour stimuler notre lutte contre lui est par contre une attitude acceptable. Par ailleurs, on ne peut pas parler de la peur de cette épidémie présente sans mentionner la tendance à prédire, voire même à souhaiter la fin de la civilisation actuelle, par une sorte d’effet domino ou de « collapsisme », comme disent les Anglais. Effectivement, une épidémie qui tuerait une bonne partie de la population irait dans ce sens. Du point de vue psychologique, qu’y a-t-il derrière ces peurs ? Certainement un énorme sentiment de culpabilité qui est particulièrement prononcé en Occident. Par exemple, dans l’hindouisme et le bouddhisme, les notions de fin du monde et d’Apocalypse sont bien moins présentes, même si elles ont aussi leur vision de la fin du monde. L’Occident moderne sent bien au fond qu’il a des tas de comportements qui ne sont pas justes, et que la modernité en elle-même est devenue le plus grand prédateur que la planète ait jamais connu. D’où une culpabilité refoulée qui a tendance à se manifester sous forme de délire. La vraie difficulté est de faire la ligne de démarcation entre une crainte raisonnable, une possibilité d’avenir franchement négatif à ne pas négliger et un franc délire apocalyptique.
Dans les yoga-soutras de Patanjali, II, 16, on dit heyam dukhamanâgatam, « on doit éviter les souffrances à venir ». Cela évoque l’enseignement central du Bouddha dans les quatre nobles vérités, ariya-saccha, la souffrance, son origine, sa fin et le fait qu’on puisse en venir à bout complètement[ii]. Cet évitement vient de la compréhension, et dans les circonstances actuelles, déjà de la prévention de la contamination ainsi que de la prévision d’un traitement correct si l’on est contaminé, mais de manière plus générale, on prévient la souffrance due au changement en défaisant, en désagrégeant ses propres fixations mentales, qu’elles soient grossières ou subtiles.
Rester à la maison procure un grand repos, et celui-ci devient une nourriture de l’âme. La langue française ne nous fait-elle pas un clin d’œil en rapprochant les mots « repos » et « repas » ? De plus, la discipline à avoir en cette période d’épidémie nous donne des limites, elles peuvent en elles-mêmes devenir une méditation si l’on se souvient de cet adage zen : « Quand on accepte ses limites, on devient sans limites ». Le sens est clair, c’est à nous de l’intégrer à notre vie en comprenant comment il s’applique à chaque cas particulier.
Cette situation de pandémie, dans son côté inattendu, stimule notre attention. Si nous y ajoutons l’altruisme, nous aurons ces deux qualités fondamentales nous permettant, non seulement d’être heureux, mais aussi de rendre les autres heureux, la vigilance et la bienveillance.
[i] Voir l’émission de France-Culture du 11 mars « Le coranavirus créé en laboratoire ? », où est interrogé le directeur scientifique de l’Institut Pasteur.
[ii] On verra à ce propos le livre très intéressant de SN Tendon publié par le Vipassana Research Institute d’Igatpuri A Re-Approasal of Patanjali’s Yogasutras in the Light of Buddha’s Teaching. On peut le commander aux Etats-Unis. Un autre livre plus important en nombre de pages sur le même sujet et à peu près avec le même titre, est à paraître en juin chez Routledge and Keagan, par Prtadeep Gokhale.
Abhaya, la non-peur – Vigyananand (Jacques Vigne)
La non-peur représente une qualité fondamentale de yoga. Elle doit être cultivée jusqu’à la Réalisation. Dans ce sens, le sage Yâjñavalkya dit dans les Upanishads à son disciple l’empereur Janaka : « Janaka, tu es réalisé, car tu as atteint la non-peur ! » Bien sûr, la peur et l’anxiété sont aussi des signes de réalisme : elles peuvent être une preuve de prudence tout simplement. Du point de vue de la médecine actuelle, l’anxiété vient d’un excès de stress parfois soudain, mais le plus souvent chronique. Elle n’est donc pas toujours reliée à un traumatisme unique, comme dans le syndrome d’anxiété post-traumatique, mais elle devient une manière d’être chronique qui se fait envahissante, et c’est là le problème. Du point de vue traditionnel, on peut se demander pourquoi on parle de cette qualité de courage de façon négative, abhaya, c’est-à-dire absence de peur. Il y a une raison simple à cela, c’est que notre vraie nature est la paix, et si nous nous abstenons de faire des erreurs stratégiques et tactiques dans la gestion de nous-mêmes, nous demeurerons dans cet état fondamental, sans nous fabriquer artificiellement toutes sortes de frayeurs inutiles. Le point principal, c’est d’être dans la justesse des actions, des paroles et des pensées. Si on en arrive à cela, on n’a plus rien à craindre de soi-même, et par une sorte d’extension naturelle, on a beaucoup moins à craindre du monde extérieur. C’est la solution profonde de l’anxiété, mais avant d’y parvenir, un bon nombre de compréhensions partielles et de techniques pratiques sont bien utiles.
Comprendre l’anxiété
Cela fait maintenant 35 ans que j’ai effectué ma formation de psychiatre, et après avoir travaillé 5 ans en hôpital psychiatrique pour mes études et mon service de coopération, je suis parti pour l’Inde. Je reviens régulièrement en France et il y a un an j’ai terminé une grande tournée qui s’était étalée sur 3 ans. Je vais de ville en ville, et pendant l’été, de lieu de stage en lieu de stage dans la campagne française pour des périodes en général de 5 jours à une semaine. Je réponds à des milliers de questions de la part de milliers de gens, et certainement, l’anxiété, la peur diffuse représente une souffrance sous-jacente bien réelle chez la plupart des personnes. Le bon côté de cela, c’est qu’elle pousse les gens à faire un travail sur eux-mêmes. Quand ils ont vu que les meilleurs tranquillisants n’étaient que symptomatiques, ils comprennent qu’il faut aller plus loin vers la racine des choses. Quand j’étais interne en psychiatrie avec des patients lourds, j’essayais malgré tout d’introduire pour eux aussi des techniques corporelles, et la meilleure porte d’entrée que j’aie trouvée pour pénétrer leurs défenses par ailleurs bien cadenassées, c’était de proposer des solutions naturelles à l’insomnie et à l’anxiété. Personne, même les patients les plus sérieux, n’aime se retourner toute la nuit à chercher le sommeil, et personne n’aime non plus mener sa vie avec la plupart du temps un gros nœud bien tendu au plexus ou à la gorge, et avec des mâchoires serrées comme des boulons sur des vis… D’où l’intérêt des pratiques psychocorporelles.
L’anxiété donne lieu à toutes sortes de troubles dérivés. Par exemple, une étude de l’Université d’Upasala que je cite dans mon livre sur l’anorexie mentale[1] montre qu’un groupe d’environ 270 adolescents, souffrant de troubles du comportement alimentaire, n’avait rien en commun dans leur profil de personnalité, sauf l’anxiété.
Quand le stress devient chronique, il se transforme en détresse, et donc en anxiété. Comme on le sait, le stress stimule le sympathique et inhibe le parasympathique. Cela ouvre donc une large place, dans le traitement de l’anxiété, à des pratiques psychocorporelles menant à une augmentation du tonus parasympathique. Le hathayoga et la méditation sont bien sûr en bonne place dans la liste des pratiques possibles.
La non-peur, quand elle est bien ressentie, est thérapeutique. À l’inverse, la tendance habituelle du mental est de fuir. Par exemple, en enregistrant le mouvement des yeux, on a remarqué ceci : en montrant à des volontaires une grande image avec, dans le coin en bas à gauche, une représentation désagréable voire effrayante, on a remarqué qu’ils y jetaient une première fois un coup d’œil et qu’ensuite, sans même s’en apercevoir, ils évitaient soigneusement cette région de l’image. Il en va de même quand notre attention se tourne vers le corps et le psychisme. C’est pour cela qu’il est très important de faire face, quand on veut trouver des solutions profondes à la souffrance. Comme le dit le grand maître du bouddhisme de la forêt en Thaïlande, Ajahn Chah, dans une formule à laquelle il a souvent recours : « Quand on fuit la souffrance, on fuit vers la souffrance ». Il en prend comme exemple tout simple l’épine dans le pied. Si on la néglige et qu’on ne veut pas y penser, on pourra la garder pendant toute sa promenade à pied et elle continuera à nous faire mal. La bonne solution est donc de s’arrêter, de regarder précisément où elle est et de trouver un moyen de l’extirper. La méditation consiste déjà en cela : savoir s’arrêter, examiner son corps vécu, repérer où sont les « épines » et travailler à les extraire.
On sait que Patanjali définit le yoga comme citta-vritti-nirodha. Les vrittis sont ces tournoiements du mental qui ne cessent que rarement. Le mot est de la même racine que « vrille » en français. On pourrait dire que la méditation du yoga consiste à éviter que le mental ne se disperse en tous sens, et que ce faisant, il ne parte en vrille… Etre capable d’arrêter un mécanisme qui se répète automatiquement en soi est déjà signe de non-peur. La persévérance l’est aussi, et malgré des hauts et des bas difficiles, elle nous amène vers un état d’harmonie. En sanskrit et hindi on appelle la persévérance titiksha, « tik » signifie ce qui est bien stable, et tik hê veut dire en hindi « tout va bien ». Si on persévère à travers de multiples états intérieurs positifs ou négatifs, on arrive en ce lieu profondément enfoui en nous-mêmes où « tout va bien ». On devient stable comme la montagne, on se met à mériter ce nom d’Abhayagiri, montagne de non-peur, qui était celui d’un prince de Ceylan, puis du grand monastère bouddhiste qu’il a fondé dans la capitale de l’époque, Anuradhapura. Il a été habité pendant 8 siècles par plus de 5000 moines. On peut dire que l’idéal central qu’on leur proposait en ce lieu était la non-peur.
Quelques pratiques pour stabiliser la non-peur
– La posture :
Nous pouvons déjà faire remarquer que le hathayoga dans son ensemble représente une pratique de non-peur à l’intérieur même du corps. Celui-ci craint d’aller trop loin dans une posture et résiste, mais petit à petit, on l’amène à se dépasser et à aller au-delà de ses frayeurs. Progressivement, ce développement de la non-peur se répand au psychisme et à notre être spirituel. La position du lotus aussi nous permet de nous ancrer, et ainsi de diminuer nos craintes. Par l’enlacement des jambes qu’elle favorise, elle crée un éveil direct du cerveau qui nous donne confiance en augmentant notre capacité à réagir aux événements inattendus. Elle donne aussi la sécurité d’un enlacement, d’une union qu’on peut interpréter comme une forme de mariage intérieur. En effet, la partie gauche du corps est traditionnellement considérée comme féminine, et la droite masculine. L’enlacement des deux peut donc évoquer la rencontre amoureuse. Beaucoup de gens évitent cette posture en ayant peur des petites douleurs qu’elle finit par provoquer au bout d’un certain temps. Il faut comprendre ici une différence notable entre deux grandes écoles du bouddhisme, celle du Sud, theravâda, et le zen du Japon : dans cette dernière tradition, les moines doivent gagner leur propre vie, souvent avec des travaux des champs qui les engagent physiquement de façon importante. Ils ne sont assis en méditation donc qu’à certaines heures de la journée. Ce faisant, ils peuvent s’offrir d’effectuer le lotus complet. Par contre, les moines Theravâda vivent uniquement de donations et de leur enseignement, et dans certaines de leurs écoles, ils méditent la plus grande partie de la journée. A ce moment-là, le demi-lotus est plus adapté.
Les sujets anxieux ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes. Il est bon de laisser cette inclination s’exprimer en conseillant souvent la posture de feuille pliée et des positions en flexion avant, puis progressivement on va vers des postures d’ouverture, de flexions arrière et de torsions qui feront sortir l’élève de la prison psychocorporelle qu’il s’est lui-même fabriquée.
– La respiration :
Nous pouvons développer ici en particulier la respiration d’amplitude décroissante, appelée encore « petite respiration » qui mène d’après les textes du yoga au kévala khumbaka, où le corps ne respire pratiquement plus. Voilà une pratique fondamentale de non-peur et un bon antidote de l’anxiété, où au contraire le sujet a soif d’air. Quelqu’un de vraiment tranquille n’a pas soif d’air à la façon d’un alcoolique de breuvages forts, il est au contraire un « peu respireur » comme d’autres sont des « peu mangeurs ». La petite respiration consiste à prendre simplement quelques centimètres cubes d’air à l’inspir et les rejeter à l’expir, avec un rythme en général un peu rapide. Ce qui se passe alors physiologiquement est assez facile à comprendre : l’oxygène va et vient dans les narines et le pharynx, alors que le gaz carbonique fait de même dans le réseau des bronchioles et alvéoles pulmonaires, et il n’y a donc pas d’échanges gazeux efficaces. De ce fait, l’oxygène baisse dans le sang, ce qui entraîne automatiquement un ralentissement du cœur, et le gaz carbonique augmente dans le cerveau, ce qui entraîne physiologiquement une somnolence. Celle-ci, quand on a le dos droit et qu’on est décidé à méditer, est réinterprétée comme une entrée en méditation profonde. Cet état de calme de l’organisme bien réel est induit directement par la petite respiration (qui est aussi très utilisée dans la méditation taoïste) et il est profondément thérapeutique. Pratiquée régulièrement et avec conscience, cette petite respiration a le pouvoir de déraciner le stress et ses effets, ainsi que l’anxiété.
Le terme kumbhaka lui-même, qui signifie « vase » en sanskrit, évoque la stabilité. Je me souviens de réunions avec plusieurs centaines de personnes que j’ai pu voir pendant la Kumbha-méla : au petit matin, chaque pèlerin était accroupi devant un pot rempli d’eau du Gange, et pratiquait le kumbhaka, l’arrêt poumons et abdomen pleins, qui transforme le tronc en une sorte de vase. C’était l’un des exercices principaux lors de ce pèlerinage dont le nom lui-même signifie : « le rassemblement du vase ». Celui-ci, rempli d’eau du Gange, est le symbole du corps rempli du Soi. Si le corps est bien immobile, il n’y aura pas de fuite de « l’eau » du Soi, et donc pas d’anxiété risquant de nous épuiser par une sorte d’hémorragie énergétique.
Un conseil important pour pratiquer cette petite respiration est celui-ci : le manque d’air fait remonter une tension globale des muscles respiratoires auxiliaires qui sont dans le cou, et par extension la mâchoire et le visage se contractent également. Une consigne de base consiste donc à les détendre constamment. L’efficacité de cette pratique est justement qu’on puisse faire ressortir, pour mieux les dissoudre, les tensions dans le cou qui se retrouvent dans l’anxiété où on a soif d’air, et où on contracte donc ces muscles respiratoires auxiliaires situés dans le cou. C’est un long travail, pareil à celui d’Hercule coupant constamment les têtes de l’hydre de Lerne qui se reformaient au fur et à mesure… Par ailleurs, quand on commence une session avec les tensions des activités juste auparavant, il est mieux de respirer plus profondément pour oxygéner le corps. Par contre, quand on commence à rentrer dans un état plus profond, il est juste de diminuer l’amplitude respiratoire pour s’adapter aux vrais besoins corporels et c’est là que la petite respiration s’installe assez naturellement. Ce n’est pas qu’une respiration est meilleure que l’autre, mais ce qui est important est qu’elles soient adaptées aux vrais besoins du corps dans chaque phase de la pratique.
– La concentration sur le hara :
La peur a tendance à nous faire nous recroqueviller sur nous-mêmes, et donc à tendre les grands droits de l’abdomen qui soutiennent la zone du hara, trois ou quatre travers de doigt en dessous du nombril. La libération de la peur sera donc très liée à la capacité de détendre instant après instant ce hara. Une méthode fondamentale est de mettre de l’énergie dans le muscle antagoniste correspondant, c’est-à-dire les muscles lombaires qui permettent de creuser les reins et de redresser le dos. Par automatisme physiologique, ces muscles antagonistes que sont les grands droits de l’abdomen se relâcheront, et une racine importante de la peur corporelle sera coupée. Les hathayoguis qui veillent avant tout à ne pas risquer de dégâts corporels, peuvent conseiller une position des lombaires différente dans diverses postures, mais dans la méditation, il n’y a guère de risques en ce sens et on peut se concentrer directement sur la transformation du psychisme. À ce moment-là, éveiller et entretenir la non-peur sera un instrument de choix pour le faire évoluer. Ce travail sur la non-peur complète, peut mener rapidement au satori (éveil, samadhi) si on suit ce qu’explique le grand maître zen du XVIIIe siècle, Hakuin. Avec son expérience à la fois de pratiquant et d’enseignant, il attribuait à chaque koan, à chaque énigme traditionnelle du zen, un nombre donné de jours pour obtenir le satori. Le plus rapide et efficace d’après lui était le koan ci-dessous, et nous allons essayer de le décrypter autant que possible car il est en lien avec l’éveil du hara et le déracinement de l’anxiété :
Kikaï (le hara), tanden (« l’océan de cinabre » à deux doigts en dessous du hara)
C’est le Vide de Tchao-Tchéou.
Commençons par expliquer le koan de Tchao-Tchéou qu’Hakuin évoque ici. Il s’agissait d’un maître du T’chan chinois auquel un disciple avait demandé : « Est-ce que même un chien possède la nature de Bouddha ? », ce à quoi le maître avait simplement répondu en criant : « Mou ! », c’est-à-dire « Vide ». La nature de Bouddha est reliée à la vacuité, et elle pénètre tout, y compris ces animaux considérés traditionnellement impurs comme le sont les chiens. Du point de vue symbolique, le chien est un animal qui peut passer derrière nous et nous mordre les mollets, et il est donc associé à la peur des dangers qui arrivent par derrière, et donc à l’anxiété. Si on voit comme vides, c’est-à-dire complètement relaxées, toutes ces tensions corporelles reliées en nous à la peur, celle-ci disparaitra complètement et nous atteindrons abhaya, cet état de non-peur parfaite qui est l’expression spontanée de la nature de Bouddha, ou du Soi. La peur rétracte la zone du hara, d’où l’image compensatrice de « l’océan de cinabre » qui évoque au contraire l’expansion et la transformation. Le cinabre est une substance alchimique. Le plomb des craintes et angoisses est transformé en or dans cet océan de lumière, c’est ainsi que se déroule l’alchimie méditative. Depuis la naissance, le cordon ombilical a été coupé, mais nous le rétablissons maintenant de façon subtile. Il nous relie à l’océan de lumière. Dans une image analogue, on peut dire que le hara éveillé et détendu est pareil à ce soleil qui dissipe les anxiétés, comme si elles étaient les brumes de la vallée au petit matin.
– « dé-fixation » :
La fixation et l’anxiété sont les deux faces de la même médaille : si on « coince » sur un objet en le voulant absolument, on se mettra automatiquement à avoir peur qu’il ne nous file entre les doigts et se désagrège. Une manière de ce « dé-fixer » à laquelle le maître bouddhiste Ajahn Chah attache une grande importance est le « pas sûr ! ». On peut faire par exemple le balayage habituel du corps et on accueille alors avec un petit sourire chaque sensation qui remonte et qui essaye d’attirer, de séduire notre attention, en prononçant le mot magique : « pas sûr ! » Si on est sûr de quelque chose, c’est comme serrer dans la main un objet dont on croit ne pas pouvoir se passer. On aura toujours peur que quelqu’un vienne nous l’arracher de force. Si on n’est pas sûr, cela veut dire qu’on a déjà lâché d’avance l’objet, et on n’a donc plus peur de se le faire prendre. Ce « pas sûr » est donc un antidote fondamental de toutes sortes de peurs, il est aussi libérateur que le « Qui suis-je ? » de Râmana Mahârshi. La méthode de celui-ci revient à observer toutes les réponses de l’ego qui peuvent remonter à cette question, et à ne pas se fixer sur elles, mais plutôt à les considérer comme « pas sûres » pour pouvoir ainsi aller à chaque fois plus loin. De même qu’il n’y a qu’une chose permanente, c’est l’impermanence, de même il n’y a qu’une chose certaine, c’est ce « pas sûr ». Assimilons donc cette pratique dans notre quotidien, vivons joyeusement avec humour et amour, effectuons ce qu’il est juste de faire envers les autres et nous-mêmes, et le fleuve de notre existence s’écoulera de belle manière.
– Faire danser sa peur pour la dissiper.
Dans la danse indienne, une des règles est que le danseur doit regarder régulièrement les mouvements de ses mains. Comme celles-ci bougent beaucoup de gauche ou de droite, il effectue très souvent des mouvements de balayage des yeux. De ce fait, il induit en lui un trouble de l’équilibre qui oblige le corps à lâcher toutes les tensions presque instantanément, pour retrouver un nouvel ensemble de contractions qui permettent de rééquilibrer les choses. Ainsi, les tensions profondes liées aux racines corporelles de l’ego et de l’anxiété nous lâchent également d’un coup. Le danseur peut ainsi devenir un canal purifié du divin, et mieux jouer son rôle qui incarne une forme de ce divin, car son ego a été atténué, en particulier grâce aux mouvements des yeux.
Ce mécanisme intérieur perçu intuitivement par la danse indienne a refait surface grâce à la méthode maintenant bien connue d’EMDR (Eye Movements Desensitizing and Reconditioning). Toute une littérature montre son efficacité puissante, y compris après des traumatismes forts, comme celui d’être passé tout près de la mort à la guerre, etc. La première chose est de bien visualiser et ressentir dans quelle partie du corps est enracinée la peur sur laquelle nous voulons travailler. Notre motivation sera aussi stimulée en comprenant qu’elle n’est pas isolée, mais qu’elle cache toute une série d’autres peurs par derrière, qui sont vécues par notre inconscient comme analogue à la première. On peut commencer par un mouvement de balayage horizontal ample des yeux, et ensuite réduire l’amplitude de l’oscillation. Si en plus on ajoute une réduction de l’amplitude respiratoire, on combine l’effet d’ivresse qu’induit le mouvement des yeux à l’ébriété que produit la réduction de l’oxygène et l’augmentation du gaz carbonique du fait de la petite respiration, comme nous l’avons vu plus haut. Il ne s’agit pas de travailler tout le temps avec une grande oscillation des yeux, mais de faire une succession de séries de mouvements d’amplitude décroissante. Ainsi, on passe du matériel au subtil, et on suit l’enseignement du Bouddha qui confiait à ses disciples : « Je suis venu vous enseigner le subtil ».
– La gratitude :
En pratiquant celle-ci, on touche progressivement à un noyau profond de notre être : la plainte du bébé qui ne sait pas s’exprimer autrement qu’en pleurant et l’anxiété profonde qu’il éprouve à cause de sa dépendance complète vis-à-vis des autres. Quand on est dans la joie, on n’a plus peur d’être abandonné, et on s’éloigne ainsi d’une cause fondamentale d’anxiété.
– Dissoudre la peur de l’étranger :
Jusqu’à environ 9 mois, le bébé n’a pas peur des étrangers, ensuite il apprend à faire la différence entre les personnes du dehors et celles de la famille. Le travail psycho-spirituel consiste à revenir à l’origine, et donc à dépasser cette peur de l’étranger. Au fond, tous les êtres humains sont faits de la même farine, ils cherchent tous à trouver le bonheur et à éviter la souffrance. Pourquoi donc avoir peur des autres ? Nous pouvons méditer dans ce sens sur une réponse de Mâ Anandamayî, quand on lui demandait si cela ne la fatiguait pas de voir des foules de gens nouveaux, au quotidien. Elle répondait tout simplement : « Pour moi, il n’y a pas de nouveaux venus ». En effet, elle voyait en tous le même Soi qu’en elle-même. Quand on lui demandait si elle ne craignait pas d’aller souvent, comme elle le faisait, en des lieux inconnus, elle répondait : « l’univers est mon appartement, avez-vous peur de changer de pièce ? »
– Réduire les désirs pour réduire les peurs :
Voilà une proposition qui ne sera pas populaire dans une société de consommation, où on nous fait croire de façon explicite ou implicite que si l’on paye, on a tous les droits. Cependant, en réalité, les choses ne se passent pas du tout comme cela. La peur représente l’autre face de la médaille par rapport au désir, pour la bonne raison que même au cas où l’objet de désir serait obtenu, on aura toujours peur de le perdre. A ce propos, on entend souvent dans les milieux spirituels un conseil simpliste : « Tu n’es pas assez ancré, il faut donc que tu développes une activité sexuelle pour t’ancrer davantage ». Ici, on joue au quitte ou double : quand l’activité sexuelle est effectuée dans de bonnes conditions de stabilité et de fidélité, effectivement elle peut aider à s’ancrer, sinon, elle sera plutôt déstabilisante. Et même si elle est stable, qui peut dire pour combien de temps ? Nous devons donc prendre ce conseil de l’ancrage par l’activité sexuelle avec un grain de sel, je parle ici du point de vue d’un psychiatre qui a entendu depuis une quarantaine d’années bien des histoires de bien des gens… Si on veut être ancré de façon inadéquate, on finira plutôt par être plombé.
– Cesser de respirer :
Pour montrer comment le développement de la non-peur est reliée à la pratique, nous pouvons donner deux réponses d’Ajahn Chah, ce maître de la forêt thaïlandaise que nous avons déjà mentionné. Il était plutôt pince-sans-rire, par exemple, quand on lui posait l’éternelle question : « Comment calmer mon mental ? », il pouvait répondre : « Cessez de respirer ! » Avec ce que nous avons expliqué sur la petite respiration, on saisira mieux la raison profonde de ce conseil. Une autre question récurrente des pratiquants était celle-ci : « Comment gérer mes douleurs dans la posture de méditation ? » Il répliquait parfois : « Asseyez-vous dessus ! » Certains pourront considérer que cette réponse est cruelle et irresponsable, mais en fait elle traduit une profonde sagesse : en effet, quand on s’assoit de tout son poids, on se détend, et ainsi on commence à désagréger les tensions et l’inconfort. D’autre part, si on persévère même au sein de petites souffrances corporelles, les endorphines sont libérées. Elles ont un puissant effet antalgique, qui finalement fera effectivement passer les douleurs.
– Comprendre que la non-peur sous-tend les yamas :
La non-peur est à la fois cause et conséquences des cinq yamas, des cinq observances. Si on se sent en sécurité, on n’aura pas tendance à agresser les autres et on sera donc dans ahimsa, la non-violence, sans même avoir besoin d’y penser. Si on n’a pas peur des conséquences de dire la vérité, on n’aura pas tendance au mensonge et on pratiquera satya, la vérité. Si on est sans crainte devant la solitude affective et un peu de frustration sexuelle, on pratiquera facilement le brahmacharya, la discipline sexuelle. Si on n’a pas peur de manquer, pourquoi prendre ce qui n’est pas donné, pourquoi voler ? Nous rentrerons donc naturellement en possession de ce joyau qu’est asteya, le non-vol. Enfin, si nous n’avons pas peur de la privation, pourquoi accumuler ? Nous déboucherons ainsi facilement sur aparigraha, la non-accumulation, la « non-saisie tout autour de soi ».
– Solitaire et sans peur :
La solitude est un excellent entraînement à la non-peur. Quand on est bien loin des habitations humaines, on doit se débrouiller beaucoup plus par soi-même. C’est le témoignage que donne Tenzin Palmo, cette Anglaise qui a passé onze ans et demi dans une grotte de l’Himalaya. Elle met en avant qu’un des grands avantages de cette situation était de développer une forte autonomie, c’est-à-dire une absence de peur d’être seul. Quand je demandais à mon maître Vijayânanda pourquoi il avait passé huit ans en ermitage isolé dans la montagne, une de ses réponses était souvent : « Pour développer la non-peur ». Il élaborait ce point en expliquant qu’il ne s’agissait pas simplement de courage par rapport aux dangers extérieurs, des agresseurs éventuels qui auraient pu l’assassiner pour lui prendre le peu qu’il avait, comme cela ne manque pas d’arriver dans l’Himalaya. Il s’agissait surtout de faire face à ses peurs intérieures, par exemple la peur de devenir fou en restant si longtemps seul en face de soi-même. Cette non-peur se maintenait même quand le corps était affaibli par la maladie.
L’isolement, Cette solitude négative, peut quant à lui provenir d’une peur des autres. Evoquons le cas de ce moine du Bouddha qui était tombé dans l’excès de zèle et ne voulait plus voir personne, même pas les frères de la communauté. Ceux-ci ont trouvé qu’il exagérait probablement et l’ont amené au maître. Ce dernier lui a expliqué qu’il n’avait pas compris la vraie solitude, qui ne représente pas une peur des autres. Elle consiste plutôt à se tenir soigneusement à distance de deux foules, celle des souvenirs du passé et celle des soucis pour l’avenir, en d’autres termes, trouver son refuge dans l’instant présent.
Pour aller plus loin, de Jacques Vigne :
- Soigner son âme chez Albin Michel, et
- Guérir l’anxiété
- Pratique de la méditation laïque
aux Editions du Relié
[1] Vigne Jacques La faim du vide Editions du Relié, 2012